La Banque Centrale du Royaume du Maroc (Bank-Al-Maghrib) ainsi que le gouvernement El-Othmani ont annoncé la mise en place d’une transition vers un régime de change flottant. Actuellement, le dirham a une parité fixe basé sur ses réserves en dollars et en euro.
Grâce à la libéralisation du dirham, le Maroc bénéficiera d’un accroissement des capitaux étrangers et donc des IDE étrangers. Il s’agit d’un effet d’aubaine pour l’économie marocaine dépendante de la consommation publique et privée. En effet, la libéralisation d’une monnaie a pour effet d’autoriser une plus libre circulation des capitaux, et ainsi favoriser les investissements directs et de portefeuille étrangers. L’augmentation attendue des investissements permettra de revaloriser les prévisions de croissance.
Depuis le revirement stratégique opéré par le Palais royal de Rabat, le Maroc sait que la compétitivité-prix des géants chinois, russes s’est détérioré suite à l’augmentation continue des salaires. Grâce à sa position géostratégique favorable (15 km de l’UE) et la qualité des infrastructures du Royaume (port Tanger-Med, qualité de la logistique etc), la Chine, en particulier, a besoin de la main d’œuvre marocaine pour regagner des parts de marchés à l’export. En effet, l’UE représente un marché important pour la Chine mais la dégradation de sa compétitivité l’oblige à trouver des pays pivots dans sa stratégie de réexportation. Enfin, la libéralisation du dirham permet le rapatriement des dividendes, ce qui intéresse les investisseurs : ils peuvent sortir leurs devises en cas de chocs endogènes ou exogènes (c’est ce qu’on appelle la fuite des capitaux).
Toutefois, le Maroc risque de perdre cet avantage car la productivité du travail est en berne par rapport au coût salarial qui croît. Ainsi, il est de la responsabilité du gouvernement de trouver des alternatives politiques crédibles pour renforcer la productivité du travailleur marocain.
Selon les statistiques récentes de l’OCDE, le Maroc a besoin d’une croissance économique de 6 à 7% pour résorber durablement le chômage (en particulier celui des jeunes).
Les salaires chinois ont suivi une croissance continue et reste largement supérieur aux salaires de la main d’œuvre marocaine. Pour assurer les résultats positifs attendus, le Maroc doit miser sur une formation continue de sa main d’œuvre pour attirer des entreprises délocalisées à haute valeur ajoutée et haut contenu technologique. Grâce à une revalorisation des activités manufacturières, le Maroc peut tendre vers l’objectif de réequilibrer sa balance commerciale. L’investissement a joué un rôle important dans le développement de pays développés et émergents comme la Turquie, l’Indonésie, la Malaisie, l’Egypte, l’Afrique du Sud etc.
De plus, le Maroc n’atteint pas sa croissance potentielle de 6% suite à une baisse des investissements. Ses voisins africains comme l’Angola et le Nigeria arrivent à attirer des investissements grâce à la libéralisation de leur monnaie. En 2016, les IDE ont chuté de 23% dans le Royaume.
Le système financier du Maroc se développe fortement en Afrique et un atout de rapatriement de devises :
Lors de l’article sur la nature des IDE marocains en Afrique subsaharienne, DM avait souligné que la banque et les services financiers représentaient les principaux postes d’IDE du Royaume en Afrique.
Une particularité de cette expansion bancaire est la solvabilité des banques marocaines qui remplissent l’ensemble des conditions requises par Bâle III. Les grandes banques marocaines : BMCE Bank of Africa, Attijariwafa Bank, BCP ont ouvert des filialles dans plus de 20 pays africains et en dehors de sa zone de confort (Afrique de l’Ouest).
La plus grande mobilité des capitaux autorisée par la fluctuation du dirham permettra de poursuivre et d’accélérer ce développement à l’international des principaux établissements financiers du pays. Ainsi, le Royaume pourra rapatrier ses bénéfices financiers en dirhams à travers ses filialles. Le développement des infrastructures et la croissance africaine assure une rentabilité d’exploitation continue pour les banques marocaines d’après un rapport parlementaire français qui souligne la pertinence de la politique bancaire du Maroc en Afrique.
Toutefois, certains spécialistes estiment qu’une dévaluation du dirham par rapport au dollar est fort probable (dépréciation de 4%). Cela favoriserait les exportations marocaines en direction des Etats-Unis. Toutefois, le déficit commercial avec les USA est tellement important que l’on imagine mal, un rééquilibrage des relations commerciales entre les deux nations.
Rappelons nous la fameuse théorie de l’impossible trinité développé par l’économiste Mundell qu’un renoncement du taux de change fixe doit s’accompagner soit par :
- l’abandon sur le contrôle des mouvements de capitaux.
- l’abandon de sa souveraineté sur la politique monétaire.
Quelles sont les risques de la mise en place d’un système flottant ?
En cas de forte dépréciation de la monnaie marocaine, la dette libellé en devises étrangères exploserait. Actuellement, la dette marocaine est soutenable mais est détenue à 30% par des créanciers étrangers, ce qui est loin d’être négligeable. Actuellement, l’Etat marocain mène une politique budgétaire restrictive et ses investissements publics ont du mal à avoir une rentabilité, un choc impacterait négativement le niveau de la dette. Ainsi, cela pourrait se traduire par des réformes d’ajustements structurels (réduction des dépenses de l’Etat, privatisation de la santé et de l’enseignement etc) qui auraient un impact négatif sur les salariés, la croissance économique et le niveau de vie des marocains.
L’impact sur l’inflation n’est pas négligeable car si la cotation du dirham baisse, les ménages les plus fragiles subiraient, de plein fouet, une inflation importée. Sachant que la couverture des importations représente 57%, une grande partie des produits de consommation qui sont importés deviendront plus onéreux pour les ménages.
Toutefois, la politique d’ouverture vers la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest et son Union Douanière maintiendra la cotation de la monnaie chérifienne par rapport aux devises mondiales de références comme l’Euro, le dollar ou le yen japonais.
Une des conclusions adoptées par la commission Jettou était que les entreprises marocaines n’investissaient pas assez malgré les conditions de crédits favorables. L’incertitude sur la cotation de la monnaie renforce l’incertitude sur l’intérêt et ne favorise pas l’expansion des investissements domestiques.
Enfin, sur le plan microéconomique, les entreprises vont être confrontées à une plus grande volatilité du taux de change et des taux d’intérêt qu’elles devront assumer. L’implémentation d’outils de gestion des risques, la formation des directions financières et des centres d’affaires au sein des établissements bancaires ainsi que les coûts liés à la couverture vont nécessiter d’intégrer ces investissements et charges dans le modèle économique des entreprises afin d’aborder dans les meilleures conditions possibles cette délicate transition.
On comprend mieux pourquoi le Royaume établit un régime de transition afin de couvrir les risques liés à cette réforme fondamentale et éviter les scénarios inflationnistes de l’Egypte ou de la Turquie.