La monnaie unique CEDEAO est-il un projet crédible ?

Beaucoup de citoyens de la sous-région se demandent si la monnaie unique est envisageable dans une CE de plus de 800 millions d’habitants avec une très forte hétérogénéité économique, sociale et culturelle.

Depuis l’accord de principe acté au sommet de Monrovia (Liberia), le Royaume verra son adhésion officialisée lors du prochain sommet de Lomé (Togo). Le Maroc ratifiera les principes fondateurs de la CEDEAO à savoir : le traité de libre-échange, la libre-circulation entre les Etats membres (16) ainsi que l’harmonisation sociale et des politiques communes.

Toutefois, l’un des projets fondateurs de la CEDEAO est d’établir, à horizon 2025, une monnaie unique panafricaine dans cette sous-région. Est-ce un objectif réaliste et crédible ?

Le président de la CEDEAO : Rebelo Da Sousa avait annoncé que la monnaie unique CEDEAO sera mise en place en 2020. Face à l’absence de consensus entre les Etats membres, on assiste à un énième report dans la convergence économique des nations d’Afrique de l’Ouest.

En effet, plusieurs pays comme le Nigeria, le Maroc, le Ghana sont très attachés à leur souveraineté monétaire, considérée comme un instrument économique vital face aux chocs endogènes et exogènes (crises etc). De plus, certains pays dépendant de la rente de matières premières ou pétrole-gaz ne souhaitent pas avoir une monnaie surévaluée, pénalisant ainsi leurs exportations qui sont souvent leur unique source de revenu.

En ce qui concerne le Maroc, le Royaume dispose de la monnaie la plus forte du sous-ensemble régional avec le dirham (MAD) et de l’économie la plus diversifiée. Les 15 autres membres de la sous-région disposent de plusieurs lacunes en dépit d’une croissance dynamique et forte : structure économique primaire et dépendant de l’élevage, contenu technologique très faible dans la production, monnaie sous-évaluée, chocs démographiques, déficits et dettes publiques externes non maîtrisées.

Les travaux post-crise de l’UE de Paul Krugmann, Stiglitz, Mundell ont démontré qu’une zone monétaire optimale doit se baser sur plusieurs principes :

  1. Les économies membres d’une zone monétaire doivent être le plus homogène entre eux : petit écart en termes de PIB et PIB/habitant, harmonisation sociale, niveau raisonnable et similaire en terme de déficit en % du PIB et dette publique.
  2. Les états d’une ZMO optimale doivent disposer de mécanismes de secours similaires en cas de crise et de chocs exogènes
  3. Les Etats membres doivent avoir une structure économique similaire : diversité de produits à la production, structure similaire dans l’appareil productif, système éducatif efficace, innovation etc.
  4. L’ensemble des barrières doivent être supprimées pour optimiser les résultats en terme d’emploi, de productivité et d’efficacité économique.

Dans leurs travaux, les économistes expliquent que les pays du Sud de l’UE ont davantage subi le poids de la crise de 2008 et celle des dettes souveraines, du fait, qu’à la constitution de l’UE : le Portugal, l’Italie, l’Espagne n’avaient pas entamé une révolution industrielle forte à l’instar de l’Allemagne et de la France qui disposaient d’une structure économique plus avancé. De plus, la compétitivité-prix de ces pays s’est largement détérioré dû à l’augmentation continue des salaires, de la faible productivité dans les secteurs productifs de l’économie et d’une qualité moindre par rapport aux produits français et allemands.

On comprend mieux pourquoi plusieurs sous-régions économiques du monde ne souhaitent pas installer une monnaie unique de manière prématurée. Les économies émergentes et les pays industrialisés préconisent des accords de coopération et des traités d’intégration avancé (libre-échange etc). Certes, l’installation d’une monnaie unique forte pourrait permettre de renforcer la voix de la sous-région africaine dans le monde.

Cependant, la sous-région CEDEAO fait face à plusieurs faiblesses pour prétendre à une monnaie unique pour les raisons suivantes :

  1. Les pays membres de la CEDEAO sont très hétérogènes entre eux :
  • Au niveau économique : Grâce à l’adhésion du Maroc dans cette communauté économique, la CEDEAO devient la 16ème puissance économique mondiale dépassant la Turquie et l’Indonésie. 80% du PIB de la CEDEAO est assuré par deux pays sur 16 : le Maroc et le Nigeria. Les 14 autres pays membres contribuent pour un montant très faible.
  • Dans la structure économique : Plusieurs économies de la CEDEAO disposent d’une économie primaire basé sur la petite agriculture et l’élevage tandis que le Maroc, la Côte d’Ivoire et le Ghana ont entamé des processus de diversification économique avec la mise en place d’une politique industrielle et de cités financières (ex : Casablanca Finance City qui est la plus grande cité financière du monde arabe et africain). La mise en place d’une monnaie unique forte se ferait contre les intérêts.
  • Les taux d’intérêts de long-terme sur la dette et les obligations sont très hétérogènes ce qui démontre que la solvabilité des états et la capacité à faire face à des crises est fragile pour les états primaires ou rentiers (Sénégal, Guinée, Nigeria, Mali, Burkina Faso etc). Tandis que la solvabilité du Maroc et de la Côte d’Ivoire est stable. En cas de crise économique profonde ou de laxisme budgétaire (explosion des dépenses), un aléa moral se crée : les Etats fragiles compteront sur les aides du FMI et sur les états les plus solvables de l’entité régionale. Sachant que le Maroc mène une politique budgétaire restrictive pour diminuer ses déficits et sa dette, il peut se passer de charges supplémentaires.
  • L’absence de consensus sur la parité monétaire : Dans un monde de plus en plus concurrentiel, le Maroc industrialisé peut vendre au groupe CEDEAO, sans taxes et droits de douane, grâce à ses avantages comparatifs dans l’automobile, le textile, la transformation de produits phosphatés, la chimie ainsi que la sous-traitance aéronautique. Toutefois, il a intérêt à avoir une monnaie forte pour vendre des produits complexes à un prix compétitif. En effet, les pays africains trouveront leur intérêt à acheter en une monnaie forte mais pas plus forte que le dollar ou l’euro (principales devises du monde). Cependant, les états primaires sont hostiles à l’installation d’une monnaie forte car elle pénalise les exportations de ceux-ci. En effet, les pays primaires et rentiers vendent généralement un nombre limité de produits. La mise en place d’une monnaie faible permet de doper les exportations de matières premières non transformées dans les pays limités en ressources naturelles (généralement les pays développés et industrialisés).

En conclusion, on remarque très bien qu’une politique monétaire commune ne peut être pertinente que si les états formant l’union économique et monétaire établissent des politiques de convergences visant à rendre les pays homogènes entre eux dans les domaines sociaux, économiques, culturels, linguistiques, structurels.