Mohamed Badine El Yattioui, docteur en Science Politique de l’université de Lyon (France). Spécialiste des questions de sécurité globale et de gouvernance globale, il enseigne à la UDLAP (Universidad De Las Américas Puebla) au Mexique et à l’Université Jean Moulin Lyon III. Il préside le think-tank NejMaroc, Centre Marocain de Recherche sur la Globalisation qui publie une revue semestrielle et qui organise des événements dans différents pays et dirige le Séminaire Permanent sur le monde musulman (Observatorio sobre el mundo musulman) ILM.
Alors que la fin du confinement approche, tout le monde semble, à juste titre, focalisé sur les questions économiques et sociales. Mais quid de la gouvernance ? Et en premier lieu de l’action du gouvernement durant cette crise. Les critiques fusent contre ce dernier le jugeant en retrait et cacophonique. Malgré quelques exceptions, les ministres et le premier d’entre eux ont paru absents. Demandons-nous donc quelle est la relation entre l’absence d’efficacité gouvernementale et le mode de scrutin, qui est l’un des éléments les plus fondamentaux de la démocratie représentative
La constitution de 2011 a voulu renouveler le pacte national en consacrant une monarchie constitutionnelle modernisée. Le pouvoir exécutif émane alors de la majorité parlementaire, dirigé par un chef du gouvernement nommé au sein du parti arrivé en tête aux législatives. Le fameux article 47. Aussi, les pouvoirs du Parlement bicaméral sont renforcés et ses compétences sont élargies.
Les résultats des législatives d’octobre 2016 ont permis aux partis de se partager les 395 sièges de la Chambre des Représentants. 305 ont été répartis entre 92 circonscriptions électorales et 90 étaient réservés à des listes nationales de « jeunes » (moins de 40 ans) et des femmes.
Le Maroc utilise un scrutin proportionnel plurinominal pour répartir les 305 sièges précités. Le nombre de voix détermine proportionnellement le nombre de sièges attribués.
En 2016, trente partis se sont opposés durant une campagne financée à la fois par les candidats, les partis et l’État très regardant puisque la loi plafonne les dépenses électorales d’un candidat à hauteur de 500 000 dirhams.
Lors de ces élections, seulement 43% (6,7 millions de personnes) des 15,7 millions d’inscrits aux listes électorales ont votés. Les séniors (moyenne d’âge 62 ans) votent plus que les jeunes (moins de 25 ans) alors que ces derniers représentent 35% de la population.
Le PJD avait alors conforté son statut de premier parti avec 125 sièges obtenu (contre 107 en 2011). La plus forte progression revenait au PAM qui avait obtenu 102 sièges (contre 49 en 2011). Au vu de ces résultats, il apparaissait, pour certains commentateurs, que le Maroc tendait vers une bipolarisation du champ politique puisque le PAM et le PJD se partagent 57% des sièges.
Désigné chef du gouvernement le 17 mars 2017 par SM le Roi et chargé de trouver une majorité, Saad-Eddine El Othmani, numéro 2 du PJD a fait des concessions afin de former son cabinet. Durant cinq mois, son prédécesseur, Abdelilah Benkirane, avait échoué à constituer une coalition. Arrivé en tête avec 125 sièges sur 395, ce parti ne disposait pas d’une majorité absolue (188 députés).
Saad-Eddine Al-Othmani, plus consensuelle que Benkirane, est parvenu, fin mars, à réunir une majorité confortable de 240 sièges avec cinq autres partis.
Une coalition contre-nature : islam politique (PJD), libéraux-centristes (RNI), socialistes (USFP), un ancien parti communiste (PPS) plus les libéraux-conservateurs du MP. Nous avons donc des partenaires gouvernementaux aux antipodes idéologiques les uns des autres.
Comment en est-on arrivé là ?
La mise en place du scrutin de liste, en 2002, avait pour objectif que les électeurs votent pour un parti et non plus pour une personne. Son objectif était d´éliminer les achats de voix. Dix huit ans et trois élections législatives plus tard, le niveau de participation est très bas.
La “balkanisation” est donc de mise et le bipartisme, défendue par certains en 2016, inexistant.
Plusieurs solutions : l’uninominal à un tour ou à deux tours. Les deux options recomposeraient le champ politique. La première permettrait un bipartisme clair alors que la seconde obligerait à des alliances au second tour. Les deux donneraient plus de clarté aux électeurs et plus de cohérence au gouvernement. Néanmoins, si un parti venait à obtenir la majorité absolue cela pourrait présenter un risque d´hégémonie, que certains pourraient considérer comme dangereuse. Finalement, pourquoi ne pas chercher à équilibrer en “mixant” entre proportionnelle et uninominal à un tour ? Cela permettrait de conjuguer cohérence et représentativité. Le débat est loin d’être terminé.