Mohamed Badine El Yattioui, docteur en Science Politique de l’université de Lyon (France). Spécialiste des questions de sécurité globale et de gouvernance globale, il enseigne à la UDLAP (Universidad De Las Américas Puebla) au Mexique et à l’Université Jean Moulin Lyon III. Il préside le think-tank NejMaroc, Centre Marocain de Recherche sur la Globalisation qui publie une revue semestrielle et qui organise des événements dans différents pays et dirige le Séminaire Permanent sur le monde musulman (Observatorio sobre el mundo musulman) ILM.
«Dans les prochaines semaines, avec toutes les composantes de notre nation, je tâcherai de dessiner le chemin», a déclaré Emmanuel Macron lors de son allocution du 13 avril.
Dans deux ans, le premier tour de l’élection présidentielle aura lieu en France, et selon un sondage BVA, moins d’un Français sur trois trouve le président rassembleur. Les oppositions ne cessent de le critiquer sur sa gestion de la pandémie et savent qu’un gouvernement d’union nationale (dont les rumeurs ne cessent d’enfler) pourrait l’avantager dans le combat pour un second mandat à partir de 2022.
Avant cela, Emmanuel Macron doit faire face à des défis immenses. Il devra mettre en place un déconfinement (qui ressemble à une usine à gaz pour le moment) et un risque de seconde vague. De plus, il devra gérer une crise économique internationale et ses conséquences sociales. Mais comment mener ces chantiers colossaux. L’unité nationale est-elle possible ? Est-elle souhaitable?
Premièrement, sa victoire de 2017 a permis une recomposition inédite de la scène politique hexagonale. Le président centriste a réalisé ce dont Valéry Giscard d’Estaing et Michel Rocard rêvaient: l’alliance du centre-gauche et du centre-droit pour la réalisation des grandes réformes structurelles sur le plan économique et social. Selon eux, la France en avait besoin afin de répondre aux standards européens et internationaux. Les deux personnalités précitées avaient buté sur des structures partisanes solides, le Parti Socialiste (PS) et le RPR (gaulliste), et des concurrents politiques, François Mitterrand et Jacques Chirac, qui ne l’ont pas permis. De plus, les clivages idéologiques étaient encore vivaces. Emmanuel Macron a bénéficié de l’effondrement des grands partis, PS (gauche) et LR (droite), et de leurs candidats, Hamon et Fillon, lors de la dernière élection présidentielle.
En 2020, Emmanuel Macron est dans une situation délicate. La pandémie s’ajoute au mouvement des « gilets jaunes » et aux manifestations contre sa réforme des retraites. De plus, sa vision comptable de l’économie vole en éclats avec le confinement. La règle des 3% de déficit annuel n’est plus de mise et l’endettement va se creuser.
Politiquement, un simple remaniement ou le changement de Premier ministre sera insuffisant. La dissolution improbable. Un nouveau projet semble nécessaire autour de la souveraineté industrielle (nationale ou européenne ?) et de la solidarité. Mais avec qui ?
Le député LR Guillaume Larrivé, dans L’Opinion, appelle à former « dès 2020 » un « gouvernement de mission », composé d’hommes et de femmes « de bonne volonté ». Geoffroy Didier, autre député LR, évoque dans Le Figaro « l’union sous condition ». Vu de gauche, Jean-Pierre Chevènement mentionne la nécessité d’un “gouvernement de salut public”. Mais les chefs de partis, Christian Jacob (LR) et Olivier Faure (PS), y sont opposés pour deux raisons. Cela serait un cadeau au président qui veut être réélu et à son opposante numéro une, Marine Le Pen. Cette dernière, deviendrait sa seule opposante avec Jean-Luc Mélenchon. Enfin, les noms évoqués (Nathalie Kosciusko-Morizet, Emmanuel Valls) donnerait l’impression d´un retour à “l´ancien monde”.
Emmanuel Macron est donc face à son destin et il a peu de cartes en main…
Un gouvernement d’union nationale avec un président qui souhaite se faire réélire pose la question démocratique de l’espace laissé à l’opposition d’ici 2022. Selon moi, Emmanuel Macron n’y arrivera pas et s’il venait à y arriver, il reconstituerait quasi automatiquement un duel avec la candidate du Rassemblement National (RN) au second tour. Cela conduirait la France vers une impasse démocratique.