#EditoDeMexico 56 : Concernant le Sahara marocain, que veut l’Espagne ?

Mohamed Badine El Yattioui, docteur en Science Politique de l’université de Lyon (France). Spécialiste des questions de sécurité globale et de gouvernance globale, il enseigne à la UDLAP (Universidad De Las Américas Puebla) au Mexique et à l’Université Jean Moulin Lyon III. Il préside le think-tank NejMaroc, Centre Marocain de Recherche sur la Globalisation qui publie une revue semestrielle et qui organise des événements dans différents pays et dirige le Séminaire Permanent sur le monde musulman (Observatorio sobre el mundo musulman) ILM.

Nacho Alvarez, Secrétaire d’État chargé des Droits sociaux, issu de Podemos (gauche radicale) a reçu des représentants du Polisario. Au Parlement européen comme au sein des Cortes à Madrid, ce parti milite depuis plusieurs années contre les intérêts marocains. Désormais, membre du gouvernement en Espagne, la donne doit changer.

Si le Maroc ne s’est jamais permis de s’ingérer dans les affaires de son voisin, pourtant confronté aux projets «indépendantistes» en Catalogne. Bizarrement, Podemos est silencieux.

D´ailleurs, les réactions ne se sont pas fait attendre à Madrid. Arancha Gonzalez Laya, ministre des Affaires étrangères, a précisé que la position de son pays sur ce dossier «est une politique d’Etat qui n’est pas tributaire des changements de gouvernements ou de coalition». Madrid «défend la centralité des Nations unies dans la recherche d’une solution à ce différend régional dans le cadre des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l’ONU».

De plus, les députés espagnols ont adopté à l’unanimité, le mardi 25 février 2020, un texte qui ne comporte aucune mention de la thèse de « l’autodétermination du Sahara occidental ». Le président du gouvernement, Pedro Sanchez, avait balayé cette option en septembre 2019, devant l’Assemblée générale de l’ONU.

Enfin, Nacho Alvarez a fini par supprimer ses tweets. Cela a fini par provoquer une crise entre le gouvernement espagnol et le Front Polisario et a eu des effets sur les relations bilatérales entre Madrid et Alger. Le gouvernement algérien a décidé de reporter d’une semaine la visite, prévue le 26 février, d’Arancha Gonzalez Laya, concernant la question du tracé de la frontière maritime entre les deux pays.Pour le Maroc, l’Espagne reste un acteur clé car elle est l´ancienne puissance coloniale et elle fait partie du “Groupe des amis du Sahara occidental” (avec les États-Unis, la Russie, la France et le Royaume-Uni).

Malgré tout, notons que c’est de villes espagnoles qu’est envoyée une grande partie de l’aide aux séquestrés regroupés à Tindouf, en Algérie.

La diplomatie espagnole soutient donc la proposition marocaine d’autonomie de ses Provinces du Sud. En 2008, José Luis Rodríguez Zapatero (socialiste), alors chef du gouvernement, affirma que ce plan était une « contribution positive ». En 2012, le ministre des Affaires Etrangères, José Manuel García-Margallo (droite), a soutenu en public la réprobation manifestée par le Maroc à l’encontre de Christopher Ross, l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon.

L’Institut royal Elcano, principal think tank espagnol, écrivait en 2014 qu’un État indépendant n’était pas viable au Sahara et que l’Espagne devait avoir un rôle plus actif en faveur d’une « autonomie authentique ». Mais les pressions viennent de la société civile, de certains médias et de Podemos (peu de membres du PSOE et du PP défendent publiquement le Polisario). Beaucoup de villes en Espagne ont des associations d’amitié avec « le peuple sahraoui ».

Afin de ne pas froisser la société civile, ni le Maroc, les gouvernements espagnols doivent trouver de fragiles équilibres car le Maroc a acquis du poids pour les décideurs espagnols (gouvernement et monde des affaires) pour au moins trois raisons: Rabat est son deuxième partenaire commercial en dehors de l’UE, le royaume chérifien freine les vagues migratoires et il fournit une aide précieuse dans la lutte antiterroriste.

Mais l’Espagne aussi est importante pour le Maroc car elle est son premier partenaire commercial, et lui fournit son deuxième contingent de touristes. En général, les partis contestataires finissent par devenir responsables sur les questions internationales une fois au pouvoir et ce parti vient d’intégrer une coalition de l’exécutif pour la première fois. Espérons que les choses se calment car les deux pays ont besoin d’une relation apaisée et stable.