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#EditoDeMexico 23 : Après les élections municipales, où en est la démocratie turque?

Chaque semaine, retrouvez l’Edito de Mexico sur DiscoveryMorocco.net dont l’auteur est Mohamed Badine El Yattioui, docteur en Science Politique de l’université de Lyon (France). Spécialiste des questions de sécurité globale et de gouvernance globale, il enseigne à la UDLAP (Universidad De Las Américas Puebla) au Mexique et à l’Université Jean Moulin Lyon III. Il préside le think-tank NejMaroc, Centre Marocain de Recherche sur la Globalisation qui publie une revue semestrielle et qui organise des événements dans différents pays et dirige le Séminaire Permanent sur le monde musulman (Observatorio sobre el mundo musulman) ILM.

Deux mois après le premier scrutin annulé, Binali Yildirim, candidat de l´AKP, a perdu lors des élections municipales d’Istanbul face à son adversaire du CHP, le kémaliste, Ekrem Imamoglu. Ce dernier a déclaré que « cette élection signifie l’ouverture d’une nouvelle page. Elle marque un nouveau début ». Le RP, puis l´AKP, d´Erdogan, dirigeait la ville depuis 1994. Il en a été le maire de 1994 à 1998.

Les dirigeants et les élites des pays occidentaux ont coutume de présenter le président turc comme un autocrate ou un dictateur. Laissons cette vision fermée et tentons d´analyser la vie politique de ce pays, qui a vécu bon nombre de moments importants ces dernières années. Où en est la démocratie turque?

La nuit du 15 au 16 juillet 2016, les Turcs ont cru revivre un moment tragique de leur Histoire avec une tentative de coup d’État militaire, comme ce fut le cas en 1960, 1971, 1980 et 1997. Alors que le pouvoir du président Erdogan semblait vaciller, ce dernier a su, via un appel sur Facetime diffusé à la télévision, reprendre la main en appelant le peuple à descendre dans la rue pour défendre la démocratie. Il a été entendu car en quelques heures, le vent a tourné.

Contrairement à ce que beaucoup d’analystes affirment en Europe, le débat ne s´est pas limité, depuis son accession au pouvoir en 2002, entre partisans de la laïcité et défenseurs de l’Islam politique, mais plutôt entre les partisans du maintien du rôle politique de l’armée et ceux qui souhaitent sa neutralité. En effet, l’AKP a, au fil au fil des années, rogné sur de nombreux avantages économiques de l’armée et a voulu confiner les soldats dans les casernes ou les placer sur les champs de bataille. Avant lui et jusqu’en 2010, l’état-major n’hésitait pas à donner son avis sur l’actualité politique. Erdogan, chef du gouvernement (2003-2014) puis président (depuis 2014), a petit à petit modifié le rapport de force en faveur du pouvoir civil. Le procès « Ergenekon » lui avait déjà permis d’effectuer un « grand ménage » au sein de la hiérarchie militaire, à l’instar de la condamnation à la prison à vie de l’ancien chef d’état-major, Ilker Basbug, et d’y placer ses hommes.

Les détracteurs du chef de l’État l’accusent d’avoir accru son influence à de nombreux niveaux (sécuritaire, économique, médiatique) et de vouloir concentrer tous les pouvoirs. Quant à Erdogan, il devait recourir à la réforme constitutionnelle de 2017, qu’il souhaitait établir depuis longtemps, afin de mettre en place un système « présidentiel ». Ainsi, cette tentative de putsch lui aurait été bénéfique et aurait conduit à son adoption. De plus, la purge en cours en Turquie, dans l’ensemble de la bureaucratie (armée et magistrature), lui a permis de consolider son maillage du territoire avec des hommes de confiance. Un éventuel rétablissement de la peine de mort, évoqué, a installé, par ailleurs, un climat de peur.

La Turquie connaît un contexte difficile du fait de sa position géographique qui la place en première ligne face à l’interminable conflit syrien, et de ses migrants, accompagné du chaos irakien. Les dissensions entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire sont connues face à la gestion de ces crises. Le président Erdogan a tourné le dos, ces dernières années, à la doctrine Davutoğlu (2001) de « zéro problème avec ses voisins », devant s’adapter à une nouvelle donne régionale avec les printemps arabes et leurs conséquences dramatiques.

Recep Tayyip Erdogan a connu son premier revers electoral en dix-sept ans (il avait gagné les élections législatives de 2015, mais sans majorité absolue, avant de dissoudre l´assemblée et de l´obtenir quelques mois plus tard). La chute vertigineuse de la Lire turque, l´inflation et les 3,5 millions de Syriens y sont pour beaucoup. Certainement plus que l´alliance avec les nationalistes du MHP. Les soucis économiques et sociaux comme les défaites aux élections locales sont considérés à son passif du fait de la personnalisation du pouvoir. Erdogan va devoir se réinventer en preparation de la présidentielle de 2023.

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