AccueilDe l’OUA à l’Union Africaine – Parcours d’une unité tumultueuse

De l’OUA à l’Union Africaine – Parcours d’une unité tumultueuse

  1. Le Groupe de Casablanca – La genèse de l’unité africaine

En 1961, le Roi Mohammed V était l’instigateur de l’Union Africaine qu’on appellait : OUA (Organisation de l’Unité Africaine). La Conférence de Casablanca posait les jalons de la construction et l’intégration africaine. Le Maroc, le Ghana, le Mali, l’Egypte, le GPRA de Ferhat Abbas (gouvernement provisoire de l’Algérie avant l’indépendance) se réunissait pour fixer les premières étapes de l’intégration africaine. Cette conférence a également vu la participation d’un pays qui n’a jamais subi un dépecage de son territoire et la remise en question de sa forme étatique : il s’agit de l’empire d’Ethiopie qui est aujourd’hui une république.

 

Elle prônait la création d’un marché commun africain et d’une citoyenneté africaine unique. À l’opposé, la conférence de Monrovia, qui réunit 21 pays subsahariens, se prononça pour le renforcement des États-nations en affirmant l’égalité absolue entre eux et le respect de la souveraineté de chacun. Plus modéré que le groupe de Casablanca, il préconisait le maintien voire le renforcement des relations économiques avec les anciennes métropoles afin d’attirer les capitaux nécessaires au développement.

 

Dans cette volonté de construction et d’intégration africaine, on retrouve la même lignée que la construction européenne tirailée entre le camp des souverainetés nationales et ceux des libéraux favorables à un grand marché commun (libre-échange puis union douanière et monétaire), une monnaie unique et la liberté de circulation. Le Groupe de Casablanca mettait également l’importance de la libération de l’Algérie. Mohammed V s’étant mis d’accord avec Gamal Abdel Nasser (premier président arabe de l’Egypte) pour des livraisons d’armes à travers les ports du Royaume (Nador, Mohammedia, Casablanca) ainsi qu’une production locale pour venir en aide au FLN (Front de Libération nationale – parti actuellement au pouvoir en Algérie). C’est à Oujda que la résistance contre l’occupant français s’organisa : on retrouve plusieurs présidents ayant exercé le pouvoir en Algérie comme Ahmed Ben Bella (05), Mohamed Boudiaf (09), Houari Boumedienne (23), Abdelaziz Bouteflika. On retrouve également un certain Nelson Mandela (15) qui avait sollicité l’aide marocaine pour la libération de l’Afrique du Sud car le Royaume avec l’Egypte étaient les seuls producteurs d’armes sur le continent à l’époque.

Une fois les indépendances politiques des pays africains obtenues, la guerre froide et les tracés des frontières coloniales vont attiser toute sorte de conflit sur le continent africain qui minera son unité pourtant si chère aux yeux de Mohammed V et du Groupe de Casablanca.

Seulement l’expérience de la construction européenne démontre que l’efficacité d’une intégration doit reposer sur l’homogénéité économique et sociale des pays africains. Cependant, les économies africaines restent actuellement hétérogènes malgré la période actuelle de croissance à deux chiffres du continent.

2- La guerre froide – Le déchirement de l’intégration africaine

Une fois l’indépendance algérienne obtenue par référendum, deux clans vont s’affronter pour le pouvoir : le camp militaire (FLN) et le camp civil (GPRA). Durant la guerre d’indépendance, le Maroc avait acceuillit les deux camps : le FLN à Oujda et le GPRA à Casablanca-Rabat-Kenitra. Le Maroc s’était mis d’accord avec le GPRA de Ferhat Abbas, Krim Belkacem, Hocine Ait Ahmed, Boudiaf pour que l’Algérie rétrocède les territoires marocains que la France a donné à l’Algérie actuelle : Maghnia – Béchar et Tindouf. Cependant, la crise de l’été 1962 voit la victoire du camp militaire sur le civil qui aura des conséquences sur l’unité africaine et le futur même de l’Algérie. En effet, le camp militaire était favorable à une économie basé sur la planification des plans quinquennaux, le choix du camp de l’Est (l’URSS) et hostilité à son voisin de l’Ouest perçu comme un voisin ne présentant pas grand chose en commun : régime monarchique, ouvert aux pôles Ouest-Est mais davantage intégrée à l’Ouest (Etats-Unis), ouvert à la mondialisation et aux échanges.

La mort de Mohammed V marquera également le cap économique et politique du Maroc. Hassan II surprend en Afrique par ses choix qui étaient complètement à l’opposé de la tendance idéologique de l’époque. En effet, de nombreux pays africains ont décidés de se tourner vers l’URSS : la Libye du jeune colonel Kadhafi, l’Egypte de Nasser, l’Algérie de Ben Bella et Boumedienne, le Mozambique, l’Angola, l’Afrique du Sud jusqu’à peu. L’assassinat de Mehdi Ben Barka marquait également la fin de l’influence socialiste sur le Royaume du Maroc.

Hassan II choisit contrairement aux pays du tiers-monde que l’économie marocaine doit être agricole et diversifiée, tourné vers le bloc américain et occidental. Les autres pays de la région misait sur une planification centralisée et quinquennale et des livraisons d’armes de l’URSS. Le temps donnera raison à Hassan II malgré son isolement sur la scène africaine.

La défaite arabe contre Israel à plusieurs reprises, l’échec de la politique communiste dans les pays africains, la naissance du Front Polisario, l’absence de démocratie et de politique anti-corruption ainsi que la domination monétaire de certains pays africains via le Franc CFA ont déchirés l’Afrique de l’intérieur.

Lors de la libération du Maroc, le Sahara dit « Occidental » est resté sous domination espagnole jusqu’en 1975 par la Marche Verte où le Maroc a récupéré son territoire et a permis, pour Hassan II, de renforcer la légitimité monarchique. Mohammed V dans son fameux discours de Mhimd El Ghizlane (1956) réclamait une libération totale et sans condition. Cependant, la découverte des minerais et des gisements de phosphates à Phosboucraa changea la donne géopolitique africaine. Les pays de l’Est (Algérie, Libye) voient en ce conflit un excellent moyen de rivaliser avec la puissance africaine de l’Ouest (Maroc) et ses alliés sénégalais, ivoiriens, guinéens.

Le Front Polisario (mouvement indépendantiste et séparatiste) fut crée officiellement en 1973 bien que son existence, à la base, n’est pas algérienne, elle est espagnole et libyenne. Le Général Salazar et le colonel Kadhafi se sont mis d’accord pour que le Polisario reprenne le Sahara, il était dans les intérêts de l’Espagne d’avoir un état tampon à sa solde sous le modèle des états du Golfe (petit et faible mais puissant en richesse naturelle) avec un compromis avec le bloc de l’Est africain : l’idéologie du Front Polisario doit être le socialisme islamique partagée par les voisins algériens et libyens. Boumedienne voit également en ce Front, un excellent moyen de couper l’ancrage africain du Maroc et un accès à l’Océan Atlantique pour pouvoir exploiter les gisements de fer inexploitées le long de l’Ouest algérien. Depuis, le conflit digne de la guerre froide perdure entre les deux puissances du Maghreb.

Le tournant fut l’intégration du Front au sein de l’OUA par la sollicitation de l’ancien secrétaire général de l’OUA : Edem Kodjo. Inacceptable pour le Maroc vu que le Polisario (RASD) n’est pas considéré comme un Etat à l’échelle internationale (ONU, UE, USA, Russie, Chine, Inde ..). Hassan II décide de quitter l’Union Africaine et la qualifia de conférence « tam-tam » facilement manipulable aux pétro-dollars.

La chute des prix des matières premières dans les années 90 va compliquer l’intégration africaine et ouvrir voie à toute séries de crises : crises économiques et sociales, pénuries alimentaires et famines, disparition de l’Etat de droit dans plusieurs pays.

3-     La mondialisation : Une place à prendre pour le Royaume du Maroc dans sa famille

En 2016, Mohammed VI annonçait la volonté de son pays de réintégrer sa famille africaine constatant que la politique de la chaise vide n’a pas profité au Maroc et a plutôt favoriser la position diplomatique de ces concurrents que sont l’Afrique du Sud et l’Algérie.

Cette volonté résulte d’une nouvelle vision économique et diplomatique du souverain chérifien : la coopération Sud-Sud dans un esprit gagnant-gagnant. Le Maroc mise sur la diplomatie économique pour défendre ses intérêts politiques. En effet, l’isolement du Maroc sur le plan diplomatique a permis à celui-ci de diversifier son économie.

Ouvert à la mondialisation, au libre-échange avec de grands pays, le Maroc est passé d’un pays primo-producteur à une révolution industrielle. A l’échelle africaine, la qualité de ses infrastructures portuaires, routières, universitaires, CHU sont reconnues. Le pays a mis en place une série de réformes qui lui permettent de commercer avec le continent africain : mise en place de champions nationaux dans le domaine bancaire et de l’assurance, téléphonie (Attijariwafa Bank – Saham Assurances), vente des engrais et des phosphates de l’OCP (indispensable à la sécurité alimentaire du continent), production et construction automobile pour le marché africain et européen. Ces atouts économiques ont permis au Maroc de renouer avec des pays qui étaient pourtant hostiles à son intégrité territoriale comme le Rwanda, l’Ethiopie, la Tanzanie et le Nigeria.

Les visites royales en 2016 ont démontré que le Maroc veut devenir un acteur majeur du continent en proposant une nouvelle vision qui se veut plus pragmatique et adaptée aux multiples besoins de l’Afrique d’aujourd’hui

-La sécurité alimentaire : Suite à de nombreuses sécheresses, le continent est régulièrement frappée par des famines comme la crise dans la corne de l’Afrique (Ethiopie et Somalie) en 2011. Le Maroc dispose d’une richesse mondiale à ce niveau, vu qu’il est le premier exportateur mondial de phosphate. Cette richesse est incontournable pour avoir une politique agricole de renom d’inspiration du Plan Maroc Vert. Le Maroc a signé de nombreux accords prévoyant l’ouverture d’une usine (investissement de 3,5 milliards de dollars jusqu’en 2025) de l’OCP en Ethiopie qui permettera à ce pays d’atteindre l’autosuffisance en engrais et se prémunir des famines et des mouvements migratoires. La même alliance s’est faite au Nigéria, pays de 181 millions d’habitants, frappée de plein fouet par la crise pétrolière et qui a besoin de nouvelles recettes pour diversifier son économie. L’alliance OCP-Dangote permettera également au Nigeria d’avoir une politique agricole forte et se prémunir des risques face aux chocs démographiques et à la sécheresse qui a fait l’objet d’un sommet à Marrakech en marge de la COP 22.

-L’électrification du continent : Le projet de gazoduc entre le Nigeria et le Maroc rentre dans la volonté marocaine de diversifier ses fournisseurs (Nigeria, Russie etc) face à l’incertitude des livraisons de gaz provenant d’Algérie. Le PM algérien déclarait que l’Algérie devait diversifier son économie car les réserves seront taries d’ici 2030. Les pays traditionnels et alliés du Maroc comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Guinée ont un besoin urgent d’électrification et le passage de ce gazoduc permettra à terme d’électrifier toute une région africaine qui est dynamique et en pleine croissance.

-La citoyenneté africaine : Mohammed VI a également insisté sur la nécessité de mettre en place un développement humain intégré et de donner des droits aux migrants subsahariens. L’ONU reconnaît que le Maroc et la Turquie sont les deux seuls pays de la zone MENA à avoir une réelle politique d’intégration migratoire en dépit de leurs difficultés propres. Les responsabilités des acquis et des difficultés du continent doivent être ainsi partagées.

-Le processus de diversification économique : Sur le volet économique, la crise du pétrole a démontré que l’ensemble des pays africains seraient fortement vulnérables en cas de chocs systémiques. La meilleure manière de se prémunir contre les chocs externes est d’avoir une politique économique diversifiée et intégrée, ce qui séduit de nombreux pays. De plus, plusieurs pays africains ont entamés ce processus de diversification et récolte les premiers fruits comme la Côte d’Ivoire, l’Ethiopie, la Tanzanie, le Rwanda qui ont obtenus des niveaux d’éducation et de gouvernance tout à fait remarquable.

Désormais, la réintégration du Maroc est soutenue par 38 à 40 pays ce qui est largement suffisant à sa cause, une question se pose : Le Maroc pourra-t-il obtenir la suspension du Polisario à terme ? Tout porte à le croire malgré les tentatives de la présidente de la commission de l’UA : Dlamini-Zuma et de la diplomatie d’Al Mouradia.

Le discours, à Dakar, de Mohammed VI porte à croire que le Maroc ne renoncera jamais à son Sahara mais qu’il veut désormais avoir son influence en Afrique et partager ses expériences économiques pour un développement commun. Le camp des souverainetés nationales sans y mettre les formes est désormais révolue, il serait temps de penser à un continent uni et solidaire entre ses états-membres.

 

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