Nos aïeux se disaient frères, nos grands-parents se sont battus ensemble pour la liberté, nos parents ont nourri l’espoir d’une union, et nous, on voit la somme de ces échecs.
Il fut une époque où distinguer Marocain et Algérien était impossible, il fut une époque où les frontières ne faisaient pas partie du langage maghrébin, il fut une époque où on était frère. Des familles longeaient cette frontière qui aujourd’hui les sépare. Le peuple marocain a combattu aux côtés du peuple algérien lors de la colonisation, en soutenant l’émir Abdelkader ce qui a mené à la défaite de la bataille d’Isly (14 août 1844). Et a également combattu lors de la décolonisation. Il est donc essentiel de comprendre les sources qui ont mis en péril ce postulat, et qui ont fait naître l’inimitié dans le cœur de certains Marocains et Algériens.
La guerre des sables
C’est un épisode géopolitique postcolonial, qui comprend des enjeux économiques, territoriaux, militaires. Mais c’est surtout le point cardinal, le casu belli, le point de bascule de la rupture entre les deux peuples.
Il faut donc qu’on revienne à la suite de la bataille d’Isly. En effet, le Maroc signe avec la France, en 1845, le traité de Lalla Maghnia qui fixe la frontière et les usages qu’elles entendent entre les deux territoires. Mais la difficulté de ce traité est la délimitation ; les rédacteurs optent pour un abornement flou, et opte pour une sorte de zone tampon large de centaines de kilomètres. L’instauration du protectorat français sur le Maroc n’arrange pas cette situation, car le Maroc est privé de sa souveraineté tout comme l’Algérie. De plus la France pratique des délimitations de frontières administratives, car l’ensemble des territoires lui appartiennent.
La découverte de mines et de gisements de pétrole en parallèle du mouvement d’indépendance au Maroc qui approche de l’aboutissement, pousse la France à transférer les régions de Tindouf et Colomb-Béchar (Béchar) à l’Algérie en 1952, qui est devenu départements français. Le Maroc conteste dès son indépendance cette cession. La France propose aux Marocains de lui restituer ses territoires, en contrepartie d’arrêter le soutien aux indépendantistes algériens, ce que le Maroc refuse. En parallèle, un traité est trouvé avec le chef du Gouvernement provisoire de la République algérienne, Ferhat Abbas, le 6 juillet 1961. Cet accord a pour objet de permettre au Maroc de récupérer ses régions lors de l’indépendance de l’Algérie.
Le début des ressentiments
Un coup d’État organisé par Ahmed Ben Bella (originaire du Maroc), vient renverser Abbas, ce qui remet en question ce traité qui n’a pas eu le temps d’être ratifié. La nouvelle doctrine en place en Algérie rejette toute cession, toute négociation. Les Marocains se sentent trahis, car ils ont supporté les Algériens quand ils avaient besoin d’eux, et aujourd’hui le peuple des résistants refuse la restitution d’un territoire confisqué. La tension monte, des manœuvres hostiles sont menées des deux cotés, et mène finalement à un conflit ouvert, à partir du 14 octobre 1963. Le peuple algérien qui n’imaginait pas se battre peu de temps avec l’indépendance contre un pays frère, se sent à son tour trahi.
Aucun vainqueur
Des opérations militaires sont menées, qui donnent l’avantage à l’un puis à l’autre. L’Algérie est soutenue par Cuba et l’Égypte qui envoient des soldats, le Maroc n’est pas soutenu par ses alliés. Des négociations se mettent en place, par l’intermédiaire de chef d’État et d’organisations intergouvernementales (OUA, Ligue arabe). Les belligérants se rencontrent au sommet de Bamako (29-30 octobre 1963), qui fera l’objet d’une déclaration commune visant à un cessez-le-feu (fixé au 2 novembre) avec une zone démilitarisée sous contrôle d’observateurs maliens et éthiopiens. Un cessez-le-feu définitif sera conclu le 20 février 1964. Mais la guerre écorche les cœurs, la situation ne reviendra plus jamais comme avant. Une chose s’est brisée. Des familles seront séparées, des expulsions seront ordonnés, les peuples frères vont à partir de cet événement vivre, évoluer séparément, parallèlement, mais paradoxalement dans les faits, le Marocain et l’Algérien restent indissociables.
La suite des oppositions qui peuvent être sporadiques ou essentielle comme le Sahara, la fermeture des frontières en 1994 ne vont faire qu’accentuer ce qui est naît lors de cette guerre des sables.
Intangibilité des frontières issues de la colonisation
Cette situation d’hostilité conduit à la conclusion d’un traité entre le Maroc et l’Algérie sur les frontières communes, en prenant la délimitation fixée par la France. C’est l’application du principe uti possidetis, ita possideatis (« vous posséderez, ce que vous possédiez déjà »), qui entérine les frontières décidées par les anciens colonisateurs. Le Maroc s’est longtemps opposé à ce principe de droit international, défendue par l’OUA (organisation union africaine). Ce principe semble contraire à la volonté d’indépendance, car il soumet les nouveaux États à des frontières décidées arbitrairement par les colons, alors que les frontières se dessinent normalement par des considérations géographiques, conventionnelles, et résultent d’un long processus historique. Dans ce principe, il n’y a pas de place pour l’expression de la volonté, du consentement de ces peuples.
Le danger pour ces pays est de s’enfermer dans un cadre colonial ou toutes les oppositions n’ont finalement pour source que la colonisation.
Le peuple marocain et algérien doivent sortir de cette logique interminable qui nous fige à une époque qui ne devrait plus être d’actualité. Il est nécessaire que chaque Marocain, Algérien connaissent, intérioriser la source première de nos différends afin d’envisager des rapports fraternels, car il ne faut pas oublier qu’avant la colonisation nous étions des frères.
OE.