#EditoDeMexico 75 : Le Maroc et le conflit libyen

Mohamed Badine El Yattioui, docteur en Science Politique de l’université de Lyon (France). Spécialiste des questions de sécurité globale et de gouvernance globale, il enseigne à la UDLAP (Universidad De Las Américas Puebla) au Mexique et à l’Université Jean Moulin Lyon III. Il préside le think-tank NejMaroc, Centre Marocain de Recherche sur la Globalisation qui publie une revue semestrielle et qui organise des événements dans différents pays et dirige le Séminaire Permanent sur le monde musulman (Observatorio sobre el mundo musulman) ILM.

En Libye, la régionalisation et l’internationalisation du conflit augmentent de jour en jour. Depuis janvier, et le vote par le parlement turc d´une motion autorisant l’envoi de soldats pour soutenir le Gouvernement d’accord national (GAN) de Sarraj. Le maréchal Khalifa Haftar, son ennemi, qui dirige l´est du pays, souhaite en conquérir l’ensemble. Ankara justifie son implication par la défense des « intérêts de la Turquie dans le bassin méditerranéen et en Afrique du Nord ». L’Egyptien Sissi, soutien d´Haftar et grand ennemi d’Erdogan, enrage.

La conférence de Berlin, le 19 janvier, n’a pas permis d´obtenir des résultats probants car elle n’a pas permis de réunir directement Sarraj et Haftar. Ils avaient déjà refusé de se rencontrer à Moscou quelques jours auparavant.

Les attaques menées par Haftar contre le GNA et les révélations sur la présence de mercenaires russes, liés à la compagnie privée Wagner, à ses côtés ont provoqué la colère d’Erdogan, soutien du GNA. L’accord militaire signé entre le GNA et la Turquie fait monter les tensions entre Ankara et les pays d’Afrique du Nord directement concernés par ce conflit: l’Égypte, la Tunisie et l’Algérie.

Ils ont peur de voir la Libye transformée en terrain de jeu des différentes puissances (comme en Syrie) avec des conséquences graves chez eux et sur l’ensemble de la zone sahélo-saharienne. Certains, dans ces pays, parlent de “protectorat turc”. La stratégie turque semble être une réaction à son isolement géopolitique au Moyen-Orient. Notons que le duo Russie/Turquie est important car même s’ils ont des divergences stratégiques en Syrie, Poutine et Erdogan savent travailler ensemble et souhaiteraient reproduire le schéma en Libye.

Le Maroc, qui n’a pas été invité à Berlin, souhaite redevenir une force de proposition sur le plan politique afin de tenter de désamorcer ce qui semble une escalade du conflit. Le seul accord signé sous l´égide de l´ONU l´a été à Skhirat. En février, le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita considérait que l’ingérence de puissances étrangères dans le conflit libyen constitue une menace. Début juillet, il a fait part devant le Conseil de sécurité de l’ONU (reunión virtuelle) de trois messages exprimant « la préoccupation, la déception et l’appel à la mobilisation » du Maroc face à la détérioration de la situation en Libye. Que faire?

« Il y a lieu d’être réaliste et pragmatique dans le traitement de la situation. La prolifération des initiatives produit un effet contraire », selon le ministre des Affaires Etrangères. Ajoutant que « la Libye n’est pas un fonds de commerce diplomatique ». Le Maroc souhaite que la solution retenue garantisse l’unité, la souveraineté et l’intégrité territoriale de ce pays.

La Mission d’Appui des Nations Unies en Libye (MANUL) doit-elle être renforcée ? Peut-elle peser ? En tous cas, la diplomatie marocaine le souhaite. « Pour nous, la Libye n’est pas seulement une question diplomatique. Notre stabilité et notre sécurité dépendent de la situation en Libye », a dit Nasser Bourita. Tout est dit.