Mohamed Badine El Yattioui, docteur en Science Politique de l’université de Lyon (France). Spécialiste des questions de sécurité globale et de gouvernance globale, il enseigne à la UDLAP (Universidad De Las Américas Puebla) au Mexique et à l’Université Jean Moulin Lyon III. Il préside le think-tank NejMaroc, Centre Marocain de Recherche sur la Globalisation qui publie une revue semestrielle et qui organise des événements dans différents pays et dirige le Séminaire Permanent sur le monde musulman (Observatorio sobre el mundo musulman) ILM.
En Libye, la régionalisation et l´internationalisation du conflit est chaque jour plus pesante. Il y a quelques semaines le parlement turc a voté une motion autorisant l’envoi de soldats pour soutenir le Gouvernement d’accord national (GAN) de Tripoli. Ce dernier est menacé par le maréchal Khalifa Haftar qui dirige l´est du pays et souhaite en conquérir l’ensemble. Ankara justifie cette motion par la défense des « intérêts de la Turquie dans le bassin méditerranéen et en Afrique du Nord ». L’Egypte de Sissi, soutien d´Haftar et grand ennemi d´Erdogan, est vent debout contre cette décision.
La conférence de Berlin, le 19 janvier, n’a pas donné de réels résultats car elle n’a pas permis de réunir directement les deux principaux acteurs (Sarraj et Haftar) comme ils avaient déjà refusé de se rencontrer à Moscou quelques jours auparavant, annulant de facto la signature d’un cessez-le-feu.
La décision du président turc d’envoyer des troupes en Libye est une conséquence directe de la guerre d’influence qui oppose les puissances régionales et internationales dans ce pays. L’offensive menée par le Khalifa Haftar contre le GNA et les révélations sur la présence de mercenaires russes, liés à la compagnie de sécurité privée Wagner, aux côtés du Maréchal ont provoqué la colère d’Erdogan, soutien du GNA. Cette offensive vise à prendre le contrôle de l’ensemble du territoire national. On peut d’ailleurs se demander si cette décision turque ne risque pas d’isoler le GNA sur le plan diplomatique. L’accord militaire signé entre le GNA et la Turquie fait monter les tensions entre Ankara et les pays d’Afrique du Nord directement concernés par ce conflit: l’Égypte, la Tunisie et l’Algérie.
Beaucoup ont peur de voir la Libye transformée en terrain de jeu des différentes puissances comme en Syrie avec des conséquences graves sur ses voisins et sur l’ensemble de la zone sahélo-saharienne. La stratégie turque semble être une réaction à son isolement géopolitique au Moyen-Orient. Le duo Russie/Turquie est une donnée importante car même s’ils ont des divergences stratégiques en Syrie, Erdogan et Poutine savent travailler ensemble et souhaitent reproduire le schéma en Libye.
Le Maroc, qui n’a pas été invité à Berlin, doit redevenir une force de proposition sur le plan politique afin de tenter de désamorcer ce qui semble une escalade du conflit.